Performance ou humanité : non, il ne faut pas (nécessairement) choisir
22 Avr 2025
Article paru sur le blog de Philippe Silberzahn le 14 avril 2025
Nous restons souvent prisonniers d’oppositions que nous croyons évidentes, mais qui ne résistent pas à l’analyse. L’une des plus tenaces est celle qui oppose performance et humanité. Comme si la première ne pouvait s’obtenir qu’au prix de la seconde, et que pour cultiver la seconde il faudrait renoncer à la première.
Dans ce schéma, la morale semble dicter son choix : l’humanité, bien sûr — la performance étant entachée de soupçons d’inhumanité. Et si, au lieu de les opposer, nous apprenions à les tenir ensemble? Et si, mieux encore, la tension entre performance et humanité devenait une source d’énergie, voire d’avantage concurrentiel?
« Nous sommes censés être les gardiens de l’humain dans l’entreprise, mais nous sommes aussi les garants de la performance. Et ces deux missions sont souvent en contradiction. » Ce cri du cœur était poussé par un DRH dans un récent article des Echos, intitulé charitablement « Pourquoi personne n’aime les RH ».
Cette opposition entre performance et humanité est fréquente, comme si l’une ne pouvait exister qu’au détriment de l’autre. Et pourtant, certaines organisations montrent qu’une tension bien gérée entre les deux peut devenir une source d’énergie, de clarté… et d’efficacité collective.
Un bon exemple est celui d’une entreprise de conseil de taille moyenne en forte croissance dans laquelle je suis intervenu il y a quelques temps. Un travail sur ses ressorts internes a mis en lumière un attachement fort à la performance et une attention réelle portée à l’humain. Ces deux modèles structurent l’entreprise en profondeur, comme les deux pôles d’un ressort intérieur.
Le pôle Performance. Dans cette entreprise, l’exigence de performance est centrale. La comparaison avec les concurrents est constante; les projets doivent être rentables et renforcer le positionnement de l’entreprise sur des sujets d’avenir. L’excellence est valorisée, recherchée, assumée. Les projets difficiles, où elle peut se différencier, et aussi avoir de meilleures marges, sont recherchés en priorité. La croissance est un objectif affirmé.
Le pôle Humanité. Mais cette recherche de performance ne se fait pas à n’importe quel prix. Dans un secteur où attirer et retenir les talents est un défi permanent, l’entreprise a su développer une culture du respect et de l’écoute. Le système d’évaluation a ainsi été revu à la demande des collaborateurs, pour des détails en apparence mineurs… mais qui touchaient à leur identité (comme la précision d’un titre ou d’une fonction). L’accent mis sur ce pôle explique pourquoi certains collaborateurs, qui avaient quitté l’entreprise pour un concurrent offrant des salaires plus élevés, sont revenus quelques temps après.
Une tension nécessaire pour équilibrer
Chaque pôle est susceptible de dérive. Pour humanité, par exemple, le souhait de laisser aux consultants le choix de leurs missions a créé de la confusion, voire des blocages opérationnels. La direction a dû rééquilibrer en imposant certains projets moins populaires, mais cruciaux pour l’avenir de l’entreprise. Le pôle a pu également dériver vers un certain confort ou un manque d’exigence, voire de complaisance. De manière similaire, une quête de la performance poussée trop loin, ou la recherche de projets trop difficiles, ont pu générer une certaine toxicité avec un risque de « cramer » les équipes.
Il n’y a donc pas de « bon » pôle seul, ce qui est sans doute contre-intuitif. Il faut donc placer les deux pôles en tension et gérer celle-ci de façon explicite. Placés en tension consciente, ces deux pôles peuvent s’équilibrer et se corriger mutuellement. La complaisance possible de Humanité est tempérée par l’exigence portée par Performance. La toxicité potentielle de Performance est tempérée par le respect des gens de Humanité. Ce n’est pas un compromis tiède, c’est un ressort dynamique. Et c’est là que réside une grande partie de la vitalité d’une organisation, qu’elle puise son énergie.
Mais les deux pôles font plus que s’équilibrer: ils se nourrissent également l’un l’autre. Car humanité ne se limite pas à une conception un peu naïve de « bien traiter les gens ». Elle signifie aussi satisfaire leur ambition et leur besoin de réalisation. Cette ambition nourrit une forme de fierté collective. Réussir un projet complexe ou emblématique est un moteur puissant pour les équipes. Le dirigeant résume ainsi cette culture: « On est comme un club de foot : s’il cesse de gagner, il s’étiole. » Et d’ajouter : « Tout le monde rêve de jouer au Real Madrid, même si c’est dur, car ce club incarne l’excellence à laquelle beaucoup aspirent. » La combinaison, et non plus l’opposition, d’humanité et de performance devient un avantage concurrentiel pour l’entreprise. Elle lui permet de créer un cercle vertueux dans lequel attirer et retenir des talents lui permet de gagner de beaux projets, qui en retour lui permettent d’attirer et retenir des talents.
Quand humanité et performance se nourrissent l’un l’autre
On ne sait pas si une meilleure compréhension du lien fertile entre humanité et performance permettra aux RH d’être à nouveau aimés, mais elle leur permettra sans aucun doute de mieux appréhender leur travail en quittant l’enfermement dans une opposition qui n’a pas lieu d’être.