Le cadre général

Les entreprises sont entrées depuis au moins deux décennies dans un monde de crises à répétition, de transition permanente, d’irruption rapide et de renouvellement des technologies mais aussi des comportements (des clients, des collaborateurs, des partie-prenantes…).

Les évolutions à l’œuvre qui affectent l’entreprise contemporaine réinterrogent les fondements de sa performance et le sens de son activité. Il n’existe plus d’espace protégé, y compris pour les entreprises traditionnellement et solidement installées. Pour rester compétitif, il faut innover davantage, plus rapidement et sur tous les fronts : technologie, business models, organisation, gestion des ressources humaines…. L’entreprise est aussi sommée de rechercher de nouveaux leviers d’innovation comme celui de la responsabilité sociale, des innovations managériales et organisationnelles, du management des ressources externes[1]

En parallèle, sous la pression des évolutions technologiques (le digital) mais aussi des aspirations des salariés à travailler autrement, l’action organisée et sa conduite – que l’on appelle le management – tendent elles-mêmes à changer de forme (Autissier et al, 2018). Manager autrement devient donc un atout différenciateur, dans un contexte où l’approche traditionnelle du management montre des limites, en particulier :

  • Quand il s’agit « d’engager » des collaborateurs à l’heure où se développent de nouveaux rapports des « travailleurs » au temps, à l’espace, au savoir et à l’autorité, au besoin d’intérêt au travail, à la perte de loyauté envers l’entreprise, ainsi qu’à la porosité croissante des frontières entre vie privée et vie professionnelle
  • Quand il s’agit de sortir des contraintes de gestion pour faire émerger de nouvelles modalités d’innovation, basées sur la transversalité, l’agilité, la complémentarité des expertises, la capacité à penser et agir hors cadre dans la limite de la maitrise des risques pour l’entreprise, ou encore la capacité à collaborer voire s’aventurer dans l’écosystème de l’entreprise
  • Quand il s’agit de rendre attractif un rôle managérial dont la légitimité ne peut plus s’appuyer sur l’aura et l’autorité d’un statut, ou encore sur la suprématie d’un savoir. Et ce, sans que l’on parvienne pour autant à substituer de manière claire d’autres arguments de motivation, que ce soit pour aider les managers à évoluer dans leur nouveau rôle ou pour susciter des vocations.

Les managers sont ainsi sur-sollicités, interpellés sur la manière de créer de la valeur et de produire de la performance, notamment dans leur capacité à créer un environnement et des modes de travail propices à l’innovation, dans leur capacité à développer une dimension collective du travail et de la performance[2], mais aussi dans leur capacité à déployer des comportements d’adaptation renouvelés. Les rôles et compétences des managers sont donc au centre des préoccupations des entreprises et de leurs projets de transformation pour faire face aux nouveaux enjeux.

Dans un premier temps et depuis plus de vingt ans,  sous l’impulsion de l’importation d’un modèle de gestion de nature plutôt anglo-saxonne et individualisant, l’accent a été mis de manière massive sur l’exigence de compétences managériales de type savoir-être ; il s’est agi de demander aux managers de travailler au-delà de leurs compétences techniques (les “hard skills”), leurs aptitudes comportementales (ou « soft skills ») en vue d’améliorer leur leadership, de développer leur intelligence émotionnelle et leurs capacités à créer du collectif. Ce requis de compétences est aujourd’hui encore très présent dans les référentiels de compétences managériales ou les chartes de management.

La crise sanitaire dans lequel le monde est entré depuis le début de l’année 2020, et les décisions radicales auxquelles elle a donné lieu (confinement généralisé des populations et restrictions importantes du droit de se déplacer, basculement massif de l’activité salariale vers le télétravail, mise en place contraignante de mesures de protection sanitaire…) viennent éclairer d’un jour nouveau le rôle du management dans les organisations. La crise du Covid questionne profondément le contexte dans lequel s’exerce et s’exercera désormais le travail des managers et les compétences qui en résultent.

Les entreprises s’interrogeaient déjà depuis plusieurs années sur la définition ou la redéfinition du manager « du futur », mais plutôt sous l’angle des compétences à détenir pour engager des stratégies de transformations délibérées, planifiées et choisies par elles. Dans cette perspective, elles s’étaient dotées de dispositifs pour définir et développer ces compétences : référentiels de compétences, modalités d’apprenance, systèmes d’évaluation… Il y a lieu désormais de s’interroger aussi sur les compétences managériales à détenir dans des situations de transformation subie comme celle que nous vivons depuis le début de l’année 2020, et qui apparaissent comme de nature plus émergente. Comment leurs rôles et compétences évoluent-ils pour intégrer ces dimensions inédites ? Quels sont les nouveaux dispositifs de soutien, d’accompagnement et d’apprentissage que les entreprises doivent développer à l’avenir ?

Cette étude vise ainsi trois objectifs : mieux comprendre les tensions, paradoxes de cette période de transition en cours depuis quelques années et accélérées par le Covid ; rapporter les pratiques concrètes développées par les managers pour rendre les tensions créatrices ; analyser ce que mettent en place les fonctions Ressources Humaines pour préparer et accompagner les managers dans ces nouvelles postures.

 

Lire « le cadre académique »

[1] Le Masson, Weil, Hatchuel, 2006, Les processus d’innovation. Conception innovante et croissance des entreprises, Paris, Hermès-Lavoisier, coll. « Science Publications »
[2] Retour, Picq et Defélix, 2009, Gestion des compétences. Nouvelles dimensions, nouvelles relations, Paris, Vuibert