Des dispositifs variés d’accompagnement par les entreprises

Notre propos n’est pas ici de détailler tous les dispositifs possibles mais de les structurer et de faire apparaitre ce qui à notre sens est déterminant ou novateur. En l’occurrence, il nous semble que trois logiques d’action sont à l’œuvre :

  • Impulser la transformation de la culture d’entreprise
  • Nourrir pour « équiper » les managers et collaborateurs, afin qu’ils puissent d’eux-mêmes prendre du recul sur leur rôle, prendre leurs marques, adapter leurs pratiques
  • Conforter en agissant sur le cadre organisationnel : apporter cohérence et support par exemple en revisitant les organigrammes, le système d’évaluation de la performance ou encore la propre posture et les compétences des acteurs de la fonction RH.

Ces trois logiques peuvent cohabiter, voire être utilement imbriquées, dans la mesure où elles viennent renforcer leurs effets respectifs.

1 / Impulser la transformation de la culture d’entreprise

La transformation de la culture d’entreprise a pour vocation de faire évoluer les modes de pensées et les représentations, essentiel pour accompagner les managers dans leurs efforts pour remplir leur nouveau rôle.

Le projet, qui affiche explicitement l’ambition de faire évoluer la culture managériale, est un moyen fréquemment rencontré, à l’instar de ceux présentés dans le Cahier de Cime n°1 : « L’innovation managériale dans tous ses états[1] ». Nous ne les détaillerons pas ici. Rappelons simplement que ce type de projet autorise différents degrés d’implication : au sein de la Holding Hermès Textile, tous les managers sont impliqués dans la co-construction chemin-faisant d’un nouveau rôle managérial, tandis que chez Horizon Sud, la Radio Television Suisse ou le Crédit Agricole Centre Est, la Direction (ou la DRH) soumet un référentiel managérial élaboré en amont, pour appropriation et traduction en comportements managériaux et d’équipe attendus.

Ce qui parait nouveau aujourd’hui est d’aborder l’évolution de la culture managériale comme un sous-jacent, effet collatéral recherché d’un projet qui centre les réflexions sur un autre sujet à fort enjeu pour les managers et leurs collaborateurs. L’approche est indirecte. Elle est tout aussi efficace si tant est qu’il y a cohérence entre ce qui est attendu en termes de transformation managériale, et la façon dont est conduit le projet : l’émergence, la facilitation plutôt que le top-down et le directif. Le projet n’est pas seulement exploité comme un processus de coconstruction, mais aussi comme un processus de transformation et d’apprentissage.

Ainsi, Soitec embarque l’ensemble de l’entreprise sur le sujet de la Qualité de Vie au Travail, avec des enquêtes QVT qui permettent d’une part de détecter si dans une équipe se pose un problème managérial, et d’autre part d’alimenter l’acte managérial dans les équipes. L’enjeu de la QVT est renforcé par la création d’une Commission ad hoc, tandis que la perception de la QVT par les salariés est un des critères de la part variable du PDG, donnant toute sa légitimité et importance à cet objet d’investissement managérial.

Chez Boeringher Ingelheim, les principes d’intelligence collective, de créativité et d’agilité[2] sont aujourd’hui bien diffusés dans la culture. Dans ce contexte déjà favorable, et motivé par la crise du Covid, l’entreprise poursuit sa transformation managériale en initiant une réflexion sur le « Future of work », tout en questionnant le rôle du leader :

  • Les « working modalities »: un bureau pour quoi faire ? quel degré de flexibilité ?
  • La « meeting culture »: temps / lieu / audience… pour quel objet ?
  • La collaboration : quel ancrage avec l’agilité, quels modalités et formats de communication, de partage des apprentissages ?
  • Les « business travels »: l’avenir des voyages d’affaires, participation à des congrès…

Enfin chez SThree, entreprise internationale d’une centaine de collaborateurs, la transformation démarre par un appel aux collaborateurs volontaires, invités à travailler sur des thèmes à enjeux opérationnels pour eux : comment optimiser les relations clients ? Comment revoir le système de rémunération pour motiver à la fois l’individuel et le collectif ? Comment mieux coordonner les équipes commerciales et Corporate ? La démarche met l’accent sur l’authenticité et le pragmatisme : les recommandations faites par les groupes de travail doivent inclure les critères permettant une prise de décision objective (faisabilité, bénéfices attendus, …), le process itératif et le groupe projet sont là pour aider à l’amélioration des recommandations et les projets validés sont mis en place sans attendre. Si l’ambition de l’entreprise est d’en finir avec le micro-management et de développer la responsabilisation, la question du management est travaillée en parallèle, d’abord avec le CODIR, puis dans une logique de cascade avec les autres managers.

 

L’impulsion peut aussi avoir l’ambition de casser des routines et d’agir sur les modèles mentaux. Chez Boeringher Ingelheim, la diffusion de « bonnes pratiques » pour clôturer une fin de réunion contribue à développer capacité réflexive et responsabilisation. Chacun est invité à partager sur ce qu’il a vécu ou pensé de la réunion, avec un questionnement inspiré des techniques de codéveloppement : « ce que j’aime », « ce que j’apprends », « ce qui me surprend », « ce que je propose ». La personne qui porte le sujet garde la main sur ce qu’elle retient de ce tour de table, sans avoir à se justifier,

Chez Germinal[3], start-up et organisme de formation en ligne, on n’arrive pas deux minutes en retard à une réunion : cette règle du quotidien est plus forte que les valeurs de l’entreprise car le souci du collectif et du travail de l’autre est entré dans la culture de l’équipe ; cela renforce la confiance, la responsabilisation, la fiabilité ; rien n’est figé, les règles peuvent évoluer, dans une logique d’adaptation mais surtout « d’annule et remplace » : « à chaque fois que tu grandis, tu casses les process d’avant ».

Le mode d’action est plus radical pour la Camif[4]. En 2009, son nouveau PDG invite une artiste plasticienne en résidence pendant 3 mois. Celle-ci commence par montrer aux collaborateurs des dyptiques de photos, mettant en évidence les similitudes entre le portrait de la personne et celui d’une pièce de son habitation. Les salariés finissent par se prêter au jeu et partagent leurs propres portraits, créant ainsi une forme nouvelle de lien et d’échanges permettant d’initier des relations plus authentiques. Une autre fois, elle tague toutes les places de parking avec le nom d’un artiste contemporain, sans demander l’autorisation de la Direction, en rupture avec la culture en place : stupeur chez les salariés, mais aussi autre message encourageant l’initiative et le hors cadre. Peu après, elle matérialise chaque interaction physique entre deux collaborateurs par une bande rose collée au sol. Peu à peu, le réseau de bandes roses qui se forme démontre aux collaborateurs l’importance de créer du lien entre eux, avec les clients, avec les fournisseurs, illustrant une des visions du PDG : « La vraie richesse d’une entreprise c’est sa capacité à créer du lien. »

[1] Etude accessible sur le site de Cime : https://cime-innovation-management-expertise.com/cahiers/linnovation-manageriale-dans-tous-ses-etats/
[2] L’agilité au sein de Boeringher Ingelheim, à savoir la capacité à se préparer à changer plutôt que d’essayer d’anticiper ou prévenir l’avenir.
[3] Podcast « Une équipe de choc » : https://podcast.ausha.co/equipe-de-choc/2
[4] Podcast « Une équipe de choc » : https://podcast.ausha.co/equipe-de-choc/10-emery-jacquillat-pdg-de-la-camif-il-faut-tout-oser

2 / Nourrir pour « équiper » les managers et les collaborateurs

La formation garde une place privilégiée, mais elle change de visage.

●      Des programmes de leadership revisités

L’approche élitiste, visant les seuls hauts potentiels est révolue. Modules à la carte, cibles et accès élargis, l’enjeu est de donner au manager qui en a besoin les éléments qui lui sont nécessaires et au bon moment pour lui, dans une logique « d’Open Learning », avec des pédagogies interactives mixant le digital et le face à face.

Ainsi Schneider Electric complète son programme dédié aux hauts potentiels par un programme dédié à tous les managers, « Building great leaders », décomposé en 3 niveaux : « nouveau manager » (niveau 1), « front-line manager » (niveau 2, pour les managers opérationnels déjà expérimentés), et « middle manager » (niveau 3, manager de managers). Le déploiement est mondial : le contenu est à la fois digital et en face à face. En parallèle, des systèmes d’accompagnement de type mentoring ou coaching sont mis en place et certaines entités pratiquent le co-développement, à leur l’initiative.

●      Des disciplines nouvelles

Au-delà des méthodes d’agilité, des principes de l’effectuation ou de la créativité qui viennent nourrir l’innovation, d’autres disciplines s’imposent er rentrent dans le vocabulaire des formations : les émotions (l’intelligence émotionnelle, le management émotionnel), la posture ou encore la qualité des relations comme facteur clé de la performance.

Plus de la moitié des entreprises observées dans notre panel ont formé leurs managers mais aussi leurs collaborateurs à la CNV (communication non violente).

D’autres forment aux techniques de créativité ou de codeveloppement, avec l’idée que ce type de compétences puissent être internalisées, portées par des personnes dédiées ou par des managers volontaires, à défaut de former des coachs.

●      Des formats qui favorisent l’accompagnement en proximité

En lien avec ces nouvelles disciplines, les formats relèvent davantage de l’atelier et rassemblent des collaborateurs en proximité dans leur travail : des ateliers de managers (à l’instar des ateliers de codéveloppement), des ateliers qui rassemblent le manager et son équipe naturelle, ou encore mais plus rarement des managers de la même ligne hiérarchique. L’engagement de chacun (ce type d’atelier ne se consomme pas mais se vit) et les conditions d’animation de tels ateliers sont un facteur clé de réussite qui ne s’improvisent pas.

ACT4Talents propose ainsi aux entreprises un accompagnement construit sur mesure, coconstruit après une étape de diagnostic sur le ou les équipes concernées (diagnostic pouvant impliquer les parties prenantes). Elle propose des parcours hybrides et expérientiels, qui s’inspirent des neurosciences (la kinesthésique par exemple), pratiquent la pédagogie positive (s’appuyer sur les forces et non améliorer les points faibles), mixent le coaching individuel, le coaching collectif, le séminaire thématique (action learning, co-developpement, atelier de créativité…), la formation-action, le tout au service de la performance et des enjeux de l’équipe. L’objectif est d’équiper le manager, de lui transmettre des outils ou pratiques pour qu’il puisse lui-même agir en prenant le rôle de transmetteur, de facilitateur, de coach interne. Au-delà des savoirs, savoir-faire et savoir-être, il s’agit de développer le savoir-agir.

Et dans les faits, les entreprises recourent de plus en plus à des techniques de type coaching, co-developpement, mentoring, team-building, ateliers de créativité (Action learning, Managing innovation…). Il y a aussi une forme de professionnalisation des formats d’échanges : les cafés managers, les communautés, les groupes d’échanges sont de plus en plus animés et structurés. En parallèle, les entreprises s’inspirent, s’approprient et personnalisent des techniques « classiques » : par exemple, le codéveloppement selon Champagne et Payette (école Canadienne) laisse la place à des variantes (le co-développement « Mentor » pratiqué au Crédit Agricole Centre Est, ou la transposition pour les fins de réunions opérée chez Boeringher Ingelheim). Il y a enfin une forme de démocratisation de ces accompagnements : le coaching n’est plus réservé aux « top managers » comme il y a quelques années mais est proposé à une cible large : des équipes nouvelles, lors de la prise de fonction d’un nouveau manager, ou à la demande d’un manager souhaitant renouveler ses pratiques et revoir son rôle.

●      Une place croissante donnée à l’ouverture

De plus en plus de dispositifs sont pensés pour donner de la culture générale, et des grilles de lecture solides (anthropologie, psychologie, économie, philosophie …) pour décoder le monde sur les plans économiques, sociétal, …

Il ne s’agit pas seulement de donner à voir aux managers ce que pourrait être « manager autrement », il s’agit aussi de les ouvrir sur l’écosystème de l’entreprise, les challenges à venir en lien avec l’environnement et la responsabilité sociale, le risque sanitaire, le télétravail, les apports des neurosciences, …. Les formats sont divers : conférences sur des thématiques variées, Learning Expedition, mise à disposition d’une veille ou accès à des pairs dans d’autres entreprises (réseau Alliance…). Par exemple, la Camif organise chaque année le Tour du « made in France » en 7 étapes rassemblant salariés volontaires de la Camif, salariés du fournisseur « hôte » de l’étape et clients ; une cinquantaine de personnes se retrouvent ainsi pour une visite de l’entreprise le matin, des ateliers créatifs l’après-midi, ateliers animés par des facilitateurs volontaires de la Camif. Outre créer du lien, ce tour permet d’optimiser la relation client-fournisseurs par une meilleure connaissance des métiers respectifs et d’interagir avec les clients.

3 / Conforter en agissant sur le cadre organisationnel

●      Faciliter l’organisation du travail

La simplification est un premier levier qui permet de gagner en cohérence et en clarification. Elle peut intervenir :

  • A un niveau micro : l’entreprise clarifie le système de délégation et officialise le temps passé sur les projets collectifs ou sur rôle transversal assuré par un opérationnel
  • A un niveau macro : Egis renonce à son organisation matricielle en fusionnant la responsabilité de projet et la responsabilité hiérarchique, afin de revaloriser le manager de proximité et lui donner plus de pouvoir d’agir.
  • A un niveau intermédiaire : aux côtés du maintien de systèmes traditionnels de contrôle et de gestion, la direction légitime et rend possible un fonctionnement local en mode agile, comme les “squad agiles” impulsées par Schneider Electric pour lancer un nouveau produit.

Les espaces de travail sont un autre levier dont le double bénéfice est de s’adapter aux usages pour faciliter le travail, et d’orienter le travail en fonction des attendus. Il en est ainsi des aménagements pensés comme des espaces de créativité. Les managers de Groupama ne s’y trompent pas quand ils décident d’organiser un séminaire d’équipe dans le Lab de Groupama, co-animé par un de ses facilitateurs. Dans le même registre, les entreprises créent davantage de lieux de rencontre pour inciter les interactions, en déplaçant des lieux passages, des bureaux ou des endroits de rassemblement pour canaliser les bonnes personnes vers le même endroit.

●      Proposer des structures support

Si la fonction RH cherche à se professionnaliser pour tenir ce rôle, force est de constater qu’il est souvent tenu par des profils différents :

  • Chez Egis: création de managers ressources, en support des managers opérationnels ; ce choix est basé sur le constat que sur les sujets de posture, de vision prospective des métiers, le manager est plus pertinent que le RRH, et que le manager opérationnel n’a pas le temps
  • Chez Boeringher Ingelheim, le « Head of Agile Innovation Centre of Excellence » est une structure de 4 personnes directement rattachée à la Présidence et chargée d’animer la diffusion en cours de la culture agile. L’équipe accompagne des managers et équipes à leur demande, et forme à l’agilité des relais internes ou ambassadeurs, qui peuvent eux-mêmes s’ils le souhaitent accompagner des équipes dans leur transformation.  Les objectifs de la structure ne sont pas pensés pour exercer une pression mais plutôt pour donner une vision et une légitimité. En l’occurrence, former 90% des collaborateurs en France et trouver une «breakthrough innovation » d’ici 2024 pour l’activité du Groupe.

 

●      Adapter le système de gestion et les processus RH

Le système d’évaluation influence implicitement les comportements. Chez Germinal, les critères d’évaluation des top managers par leurs collaborateurs ont été pensés et formulés pour orienter les comportements managériaux de manière très concrète :

  • Il me donne des retours actionnables
  • Il me laisse autonome dans mon job
  • Il montre de la considération pour mon travail
  • Quand j’ai fait une erreur, c’est facile pour moi de lui en parler
  • Il me permet de me focaliser sur mes priorités
  • Le meilleur que je vois chez lui en tant que top manager, c’est…

La cohérence avec les attendus conduit les entreprises à vouloir revisiter la façon de mesurer la performance… mais pas toujours en cohérence de phase avec le stade d’avancement de la transformation.

En synthèse de ce chapitre

 

Plus qu’un accompagnement des managers, il s’agit pour les entreprises d’adopter une vision systématique de leurs dispositifs, permettant d’agir sur trois leviers :

  • Impulser la transformation de la culture d’entreprise : le projet n’est pas la seule piste, d’autres actions sont possibles d’ambition plus modeste mais tout aussi efficaces ;
  • Nourrir pour équiper les managers et les collaborateurs : de nouvelles disciplines et de nouveaux formats apparaissent, inspirés du monde du coaching ; au-delà, l’ouverture et la curiosité sur des connaissances générales, sociétales, économiques sont déterminantes ;
  • Conforter en agissant sur le cadre organisationnel : plusieurs leviers d’action sont à la main des entreprises, visant à faciliter le travail et son management d’une part, à mettre en cohérence le système d’autre part.