Espace de travail, performance et niveau de stress, des liens étroits

Article de Ingrid Nappi, Professeur, titulaire de la Chaire « Immobilier & Développement Durable » et de la Chaire « Workplace Management », ESSEC et Gisele de Campos Ribeiro, Ingénieure de recherche, la Chaire « Workplace Management », ESSEC. Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

 

Les bureaux ne sont plus considérés comme de simples sources de coûts, mais également comme des lieux de rassemblement, de socialisation, de partage des connaissances, de mentorat et de collaboration. En effet, le rapport des employés à l’espace de travail peut influencer la performance positivement comme négativement. C’est pourquoi il devient essentiel pour les entreprises de mesurer « l’efficacité » du lieu de travail, c’est-à-dire sa capacité à soutenir les employés dans leur activité professionnelle.

À ce jour, les recherches académiques sur la satisfaction des employés à l’égard de leur espace de travail se sont surtout focalisées sur les préférences des individus en matière de conditions physiques et environnementales des bureaux (température, lumière, acoustique, etc.).

C’est pourquoi nous avons voulu comprendre quels sont les autres facteurs qui influencent l’efficacité perçue des espaces de travail.

Pour cela, nous avons étudié la relation entre la satisfaction des employés à l’égard de leurs espaces de travail et leurs jugements de l’efficacité de ces espaces.

En effet, bien que les caractéristiques physiques d’un espace de travail aient une influence sur le degré de satisfaction d’un employé, cela ne suffit pas à ce qu’il le considère comme une ressource pour bien travailler.

Notre étude nous a permis de démontrer l’importance des dimensions émotionnelles telles que le niveau de stress et l’attachement au lieu de travail sur le vécu des salariés.

Le déménagement, un révélateur

Notre analyse a été réalisée dans deux moments distincts de la vie d’une organisation : avant et six mois après un déménagement de courte distance. L’étude a été menée auprès d’employés travaillant dans une société française de services composée d’environ 180 salariés et issue d’une fusion entre deux sociétés concurrentes une année avant la réalisation de notre étude.

Cette situation de fusion et de déménagement sur un site commun est particulièrement révélatrice pour saisir l’importance de la dimension environnementale des organisations, puisqu’elle affecte l’ensemble de l’entreprise.

Voici les principaux enseignements.

Six mois après le déménagement de l’entreprise, la satisfaction des employés à l’égard de leurs espaces de travail et leur sentiment d’attachement à cet espace ont considérablement diminué. De plus, le niveau de stress au travail des employés a considérablement augmenté.

Cependant, nous avons observé que le déménagement n’a pas eu d’influence sur l’évaluation de l’efficacité de l’espace de travail ou le soutien à la productivité des employés. Les évaluations des employés avant et après le déménagement sont restées les mêmes.

Le déménagement dans de nouveaux locaux peut engendrer du stress dans les mois qui suivent, même si satisfaction des employés vis-à-vis de leur lieu de travail reste inchangé.
Muhammad Anuar bin Jamal/Shutterstock

De plus, l’étude réalisée quelques semaines avant le déménagement de l’entreprise a montré, à notre grande surprise, que la satisfaction des employés à l’égard de leurs espaces de travail et leurs jugements de l’efficacité de ces espaces n’étaient pas associées. Ce même résultat a également été observé six mois après le déménagement de l’entreprise.

La théorie de l’attribution offre une bonne explication. Selon cette théorie, les individus ont tendance à attribuer leurs succès à leurs caractéristiques personnelles et leurs échecs à des événements externes.

Une aide au travail

Cependant, même si cette association n’est pas significative, cela n’exclut pas la possibilité qu’elle soit conditionnée à d’autres variables. Notre première étude a mis en évidence le rôle du stress au travail sur cette relation :

  • lorsque le niveau de stress au travail est faible, plus un employé est satisfait de son espace de travail, plus il a tendance à affirmer que son environnement physique le soutient dans son travail (relation positive) ;
  • lorsque le stress au travail est modéré, la satisfaction des employés à l’égard de leur espace de travail n’a pas de relation avec la perception de cet espace comme soutien à leur productivité (relation inexistante) ;
  • lorsque le stress au travail des employés est élevé, même quand ils sont satisfaits de leur espace de travail, ils ont tendance à affirmer que cet espace ne les aide pas à bien travailler (relation négative).

Le sentiment d’un employé que son espace de travail ne l’aide pas dans ses activités professionnelles réduit potentiellement son désir de travailler et de bien faire son travail. À long terme, cette situation peut contribuer à des résultats indésirables tels que l’absentéisme et le désengagement ou la baisse de la productivité des employés.

Créer l’attachement au lieu de travail

Nos résultats soulignent que favoriser l’attachement des employés à leur espace de travail est un moyen efficace de limiter les effets négatifs du stress au travail. En effet, plus un employé est satisfait de son espace de travail, plus son niveau d’attachement à cet espace est élevé et plus son évaluation de l’efficacité de cet espace s’avère positive.

Cet enseignement souligne l’importance de la création et du maintien du sentiment d’attachement au bureau afin de favoriser un comportement bénéfique à l’égard de l’entreprise, tout en limitant les impacts négatifs du stress.

Six mois après le déménagement de l’entreprise, la satisfaction des employés et leur sentiment d’attachement à l’espace de travail ont considérablement diminué. Ainsi, il semble que six mois dans un nouveau bureau ne constituent pas une période suffisamment longue pour rétablir les niveaux précédents d’attachement et pour construire les liens émotionnels avec un nouveau bureau.

Les entreprises qui organisent leur espace de travail en open space disposent de marges de manœuvre pour favoriser l’attachement des employés.
Monkey Business Images/Shutterstock

L’entreprise que nous avons analysée a opté pour une configuration de l’espace de travail en open space et « flex office ». Bien que ces deux configurations étaient déjà présentes sur les sites initiaux avant le déménagement, elles constituent tout de même une marge de manœuvre pour améliorer l’attachement au lieu de travail.

En effet, les espaces de bureaux ouverts et non attribués réduisent considérablement la possibilité de personnalisation et le sentiment d’intimité des employés. Or, ces aspects sont directement liés à la satisfaction à l’égard de l’espace de travail et au sentiment d’attachement à cet espace.

Notre étude montre enfin que les fusions suivies par des projets de déménagement ont un impact important sur les attitudes et les émotions des employés. L’ensemble des acteurs d’un projet de transformation des environnements de travail a donc tout intérêt à inclure ces dimensions émotionnelles dans l’accompagnement au changement.


Cette contribution s’appuie sur l’article de recherche : Nappi, I., de Campos Ribeiro, G. and Cochard, N. (2020), “The interplay of stress and workspace attachment on user satisfaction and workspace support to labour productivity”, à paraître dans le “Journal of Corporate Real Estate.

Nicolas Cochard, docteur qualifié en histoire, responsable recherche & développement au sein du groupe Kardham qui est associé à la Chaire Workplace Management de l’ESSEC, a participé à la rédaction de cet article.The Conversation

 

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