Apprendre à écouter en entreprise, un véritable atout pour le management
02 Oct 2023
Cet article de Aurore Haas, Professeur en Knowledge management et Intelligence collaborative, Université Paris Dauphine – PSL et Lionel Pailloncy, End-user Experience Performance Manager chez Kering, doctorant en Sciences de gestion, Université Paris Dauphine – PSL, est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Une réunion de travail sans table de réunion. Une réunion sans ordinateurs, où chacun des présents prête attention aux messages de l’autre… Impossible ? C’est pourtant de cette façon que certaines entreprises du nord de l’Europe conduisent les échanges entre collaborateurs. Ce faisant, ces organisations privilégient l’écoute et la bienveillance, dont les effets sur les collaborateurs et la performance gagneraient à être redécouverts.
De nombreuses recherches ont montré les effets positifs de l’écoute sur la performance de l’entreprise et des collaborateurs. Les employés qui se sentent écoutés par leurs collègues et leurs supérieurs sont plus performants, plus satisfaits et plus engagés dans leur travail, adoptent des comportements altruistes et tournés vers le collectif. Ils sont également moins sujets à l’épuisement professionnel. Les collaborateurs qui se sentent écoutés développent plus clairement leur pensée, leurs propos sont plus modérés.
L’écoute du collaborateur – comme celle du consommateur – peut générer de la valeur, qui varie en fonction de la qualité de l’écoute et de la considération qui est donnée au collaborateur. La posture d’écoute apporte en effet à l’employé un sentiment de sécurité et d’intégration, qui lui permet de surmonter les difficultés qu’il peut rencontrer.
Éviter d’interrompre
Pour Guy Itzchakov et Avi Kluger, deux chercheurs israéliens experts de l’écoute, l’apprentissage de l’écoute est un axe d’amélioration valable et digne d’intérêt pour les organisations. Apprendre à écouter est une garantie de s’équiper pour améliorer la satisfaction des collaborateurs au sein de leur équipe et de leur organisation, un instrument clé pour tout manager en quête d’adhésion.
Une posture d’écoute de qualité en entreprise est une attitude orientée vers la compréhension de l’autre : on doit utiliser l’écoute pour se comprendre plutôt que pour simplement se répondre. L’auditeur (celui qui écoute) doit montrer que son attention est tournée vers celui qui parle.
Par exemple, en évitant d’interrompre la personne qui s’exprime, en utilisant un vocabulaire et des tournures de phrase qui font écho à la manière dont la personne parle, celui qui écoute peut créer un sentiment de compréhension et d’appartenance chez son interlocuteur. Un employé se sent écouté lorsqu’il a le sentiment que trois éléments sont bien présents lors de l’échange : l’attention, la compréhension et la bienveillance de son auditeur sont nécessaires.
L’adaptation, une notion clé
Pour être un bon auditeur, le contexte des interactions doit être pris en compte. La culture organisationnelle, les normes partagées par les équipes, les générations de collaborateurs qui se croisent ou encore les technologies liées aux nouveaux usages du travail collaboratif sont des éléments importants qui peuvent modeler la qualité de l’écoute et le sentiment d’être écouté.
Pour le manager, informer lors des réunions de diffusion d’informations ne demande pas la même posture que des sessions de travail en ateliers ou des réunions d’équipe. De plus, l’adaptation à l’interlocuteur est clé. Un bon auditeur prendra en compte la dimension émotionnelle dans ses interactions. Néanmoins, certains auditeurs sont plus attentifs au contenu de la communication et aux actions qui en découlent qu’au caractère relationnel de l’échange.
Pour promouvoir l’écoute en entreprise, de nouvelles habitudes de travail peuvent être mises en place, comme le bannissement des téléphones ou des ordinateurs lors de certaines réunions. Les équipes peuvent prendre l’habitude de travailler en « cercle d’écoute », c’est-à-dire, laisser à chacun un temps de parole nécessaire à l’expression de ses idées. Dans un cercle d’écoute, seule la personne qui détient le « bâton de parole » a le droit de parler, tandis que les autres l’écoutent attentivement. Le « bâton de parole » circule entre les membres de l’équipe, laissant à chacun la possibilité de s’exprimer et d’être écouté.
Dans le milieu médical, il a été prouvé que mettre en place une routine structurée obligeant les médecins, pharmaciens et infirmières à écouter les patients a conduit à une nette amélioration des relations entre les médecins et le personnel soignant.
Il n’est jamais trop tard
Former les collaborateurs de l’entreprise pour qu’ils soient plus à l’écoute les uns envers les autres est possible. Par exemple, on peut permettre aux membres d’une équipe d’expérimenter en termes de communication en dédiant des espaces informels pour que l’équipe puisse prendre le temps d’échanger et de s’écouter dans un environnement où ils se sentent sécurisés.
Fournir des « scripts » déroulant un scénario de communication et d’écoute (comme au théâtre) peut aussi permettre aux membres d’une équipe de s’entraîner, de progresser, et de résoudre des tensions éventuelles. Il est aussi possible d’aménager des occasions d’apprendre à écouter, en instituant des moments chronométrés où l’une des deux personnes dialoguant s’oblige à ne pas interrompre son interlocuteur pendant trois voire cinq minutes.
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La façon dont nous écoutons les autres entraîne des conséquences importantes sur la santé et le bien-être individuels et relationnels, sur la carrière professionnelle, ainsi que sur la manière dont nous sommes perçus par les autres.
Certes, améliorer la qualité de l’écoute dans les équipes et les entreprises peut sembler difficile. Pourtant, un changement de posture est possible. Si écouter se rapporte avant tout à un échange verbal, il existe aussi une dimension visuelle de la posture, jouxtant aussi la gestuelle, et le rapport au temps.
Prendre le temps d’écouter et agir pour répondre au besoin des collaborateurs peut être un excellent outil pour le manager, qui s’il le partage ouvertement avec son entourage, peut permettre de diminuer tensions et conflits, et d’améliorer la performance. Il n’est jamais trop tard pour se déclarer novice dans l’apprentissage de l’écoute de l’autre ; les progrès sont possibles.
Aurore Haas, Professeur en Knowledge management et Intelligence collaborative, Université Paris Dauphine – PSL et Lionel Pailloncy, End-user Experience Performance Manager chez Kering, doctorant en Sciences de gestion, Université Paris Dauphine – PSL
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.