Entreprise X

Le contexte

X est la filiale (700 salariés) d’un grand groupe public qui intervient sur le secteur concurrentiel de l’ingénierie et de la maîtrise d’œuvre en projets d’aménagement. Un nouveau directeur général arrive en 2013 dans une entreprise démotivée, confrontée à un environnement difficile et hyperconcurrentiel, et où la performance n’est pas aux attendus. Le directeur général est convaincu que le développement de valeur devra passer par la redynamisation des équipes, en leur redonnant conscience de toutes les forces de l’entreprise, en leur permettant de retrouver une forme de bonheur au travail, et en s’assurant que « chacun dans l’entreprise puisse agir dans la sphère professionnelle comme il le fait dans la vie privée ».

L’initiative managériale observée

Le commencement / l’impulsion

Le nouveau directeur général lance quelques mois après son arrivée un projet « Vision », qui vise à reformuler la vocation et les valeurs de l’entreprise, et ce faisant ses modes de management et de fonctionnement. En parallèle, le comité de direction s’inspire de learning expeditions dans des entreprises dites libérées, ou en lisant les travaux de Frédéric Laloux, ancien consultant de McKinsey qui a beaucoup travaillé sur le process de décision dans ce type d’entreprise.

Le déploiement : modalités et contenus

Les premiers travaux du comité de direction font émerger 4 « règles d’or » :

  • 1ère règle, le client : notre action a un seul et unique objectif, mieux servir le client
  • 2ème règle, l’utile : parce tout ce qui ne sert pas le client est inutile, l’inutile est supprimé
  • 3ème règle, le collectif : l’égo individuel disparaît derrière l’impératif du collectif
  • 4ème règle, la transparence : parce qu’aucun sujet n’est tabou, l’information est accessible

En 2015, le comité de direction décide une véritable rupture en se mettant en retrait : il démissionne pour donner aux collaborateurs le soin de trouver l’organisation adaptée de l’entreprise. 48 groupes de travail sont spontanément créés, plus de 400 collaborateurs s’investissent pour aboutir après 6 mois à une nouvelle organisation. Les IRP, dont les missions évoluent aussi, sont impliqués dans la démarche.

De nouveaux managers sont cooptés, qui accompagnent l’ensemble des collaborateurs. Parmi eux, beaucoup de précédents managers qui sont reconduits. Ceux qui se sont inscrit durablement et dès le départ dans la démarche ont été confirmés, mais d’autres l’ont bien moins vécu et bien qu’étant de valeur, sont partis d’eux-mêmes. Dans ce panorama, le directeur général ne se positionne pas en « valideur » mais comme un patron qui assume la nouvelle organisation et s’engage à assurer le maintien des principes nécessaires à sa pérennité.

Tout au long du processus, « tout le monde a basculé à des moments différents et à des degrés différents ». Ainsi dans la nouvelle organisation, chacun apporte sa contribution en fonction de ses aspirations : des collaborateurs ont « suivi », d’autres se sont emparés d’un sujet pour le porter dans une logique de projet (c’est la cas de l’évaluation des collaborateurs », projet qui a été initié par un ingénieur et non par un membre de la RH), d’autres encore se sont portés volontaires pour être des ambassadeurs de la nouvelle organisation en portant les messages de l’entreprise en interne et à l’externe.

 

La pérennisation

La démarche conduit effectivement l’entreprise vers une forme de « libération », en rupture avec la culture du grand groupe d’appartenance qui reste en observation de cette initiative à l’échelle d’une seule de ses filiales. Mais moins de deux ans après la bascule, l’aventure s’arrête cependant là, le groupe décidant de stopper l’expérimentation qui allait de plus en plus loin (sans doute trop loin, notamment sur des sujets sensibles comme celui des décisions sur les rémunérations, sur les recrutements…). Le directeur général part, les modes de fonctionnement classique sont réintégrés, source de soulagement pour certains et de regret pour d’autres.

Le caractère innovant et le rôle de la RH

Si « l’entreprise libérée » a fait une apparition récente dans les médias, ce type d’organisation n’est cependant pas nouveau : Hyacinthe Dubreuil, syndicaliste française du début du XXe siècle, intitulait en 1934 son principal ouvrage L’organisation du travail fondée sur la liberté. Ce qui est nouveau ici n’est donc pas tant le principe organisationnel mis en place que le contexte dans lequel il a tenté de s’implanter et dans lequel il s’est développé pendant quelques années avant la décision d’un retour en arrière : la filiale d’un grand groupe dont l’ADN est une culture hiérarchique dans une organisation pyramidale pour ne pas dire procédurale.

Dans cette expérimentation, le DRH a été en appui du directeur général et partie prenante impliquée dans la démarche, et membre du comité de direction. Les autres acteurs RH sont intervenus au titre de leur expertise, jouant tantôt le rôle de facilitateur, alertant sur certains enjeux (le groupe de travail des IRP et l’accompagnement du dialogue social par exemple), prenant leur place dans certains autres groupes de travail (celui concernant l’entretien d’évaluation par exemple).