Learning Expedition en Chine

La Chine, une puissance du 21ème siècle

Depuis la fin des années 1980, on prédit l’écroulement du régime chinois du fait de la contradiction entre une croissance économique et une évolution sociale fulgurante, d’un côté, et l’absence de changement politique, de l’autre. Mais en réalité, l’économie de la Chine demeure florissante alors même que la démocratie est absente, et les inégalités éclatantes. Le taux moyen de croissance (9%) produit un développement continu depuis 1978 et a conduit depuis 40 ans à sortir près de 800 millions de chinois de la pauvreté.

Le pays connaît néanmoins de puissants facteurs d’instabilité qui menacent de mettre en cause les fondements de la croissance : vieillissement démographique accéléré, pollution massive ou encore signes d’épuisement de la croissance immobilière.

Dans ce contexte, une « volonté d’assurer le grand renouveau de la nation chinoise » a été affirmée lors du 19ème Congrès du Parti communiste chinois par Xi Jinping qui vise à faire de la Chine une « nouvelle référence » mondiale dans les domaines économique et financier, militaire, énergétique ou diplomatique. Un calendrier très précis a été élaboré par les dirigeants de la Chine pour faire en sorte d’avoir rattrapé dans tous ces domaines les Etats-Unis au plus tard en 2050.

 

Un modèle d’innovation soutenu par l’Etat, un écosystème et des dispositifs de soutien et d’accompagnement de l’innovation hors normes

Ce contexte est extrêmement favorable au développement de l’innovation technologique, y compris désormais dans les sciences « dures » comme l’informatique quantique ou l’intelligence artificielle. Pour ne plus être l’atelier du monde, la Chine a décidé de s’orienter vers la production de produits à forte valeur ajoutée.

source image : studyinchina.com

L’innovation est élevée au rang de priorité nationale. La Chine est déjà classée au 17ème rang des nations innovantes par le Global Innovation Index, alors que la France est à la 16ème place, la Suisse à la 1ère et Israël à la 10ème… La Chine est aussi le second pays du monde pour les dépenses de R&D, juste derrière les Etats-Unis. L’enjeu est de passer du  « made in China » au « made by China ».

Si l’Etat et les grands groupes nationaux, en particulier les BATX (1), géants chinois de l’internet et de l’électronique, financent en grande partie l’innovation, c’est l’ensemble de l’écosystème qui soutient et rend possible la concrétisation de cette ambition. Ce qui frappe le plus dans cet écosystème, c’est l’abondance de financements et de capitaux, mais aussi un rapport totalement décomplexé au business et à la recherche de réussite sociale individuelle.

Différents organes  gouvernementaux  interviennent directement  par  le biais  de  financements en  soutien  à la recherche  et  au développement. Au-delà du financement, largement public, des politiques de stimulation de l’innovation sont mises en œuvre dans différents domaines, tels que la fiscalité, l’immobilier, la propriété intellectuelle, l’amélioration de l’attractivité pour les talents ou encore le développement de nouvelles plateformes d’innovation.

L’État est à l’origine du programme Torch de soutien massif à la création de high tech zones et tech parks reconnus, comme par exemple le Zhongguancun Science Park à Pékin, mais aussi à Shenzhen ou à Shanghai-Hangzhou-Suzhou. Au total, près de 3 000 incubateurs ont vu le jour, dont 800 financés par le gouvernement. Le programme Torch a notamment favorisé le développement de ces parcs technologiques dans lesquels les entreprises implantées disposent d’avantages fiscaux significatifs.

Ainsi, à Pékin, au sein de Zhongguancun Science Park, qui s’étend sur 335 km2 et est désormais considéré comme la Silicon Valley chinoise, il y a plus de 40 écoles et universités, représentées par les Universités de Pékin et de Tsinghua. La moitié des licornes chinoises sont implantées dans la zone, qui concentre également un tiers des investissements et des financements par des fonds de capital-risque de tout le pays !

 

Des entreprises occidentales qui s’adaptent et se repositionnent pour rester présentes sur le premier marché mondial et en veille sur l’innovation

Source image : slate.fr

Le marché chinois est un marché considérable de près d’1,4 milliard d’habitants, avec un potentiel de croissance énorme, qui est souvent regardé comme un eldorado à conquérir pour de nombreuses entreprises occidentales. Mais il reste très difficile à aborder en raison d’une régulation et de normes très prégnantes, d’une compétition féroce et de barrières culturelles et linguistiques très fortes. La plupart des secteurs économiques sont protégés par une réglementation très restrictive de l’Etat et le blocage de la plupart des acteurs non nationaux, comme par exemple le moteur de recherche Google ou le géant du commerce en ligne Amazon, pour favoriser le développement des champions nationaux, comme ici respectivement Baidu et Alibaba.

Cela impose des contraintes et des manières de travailler différentes pour de nombreuses entreprises. C’est le cas pour Microsoftdont la majorité des produits phares a une version spécifique pour le marché chinois (notamment le système d’exploitation Windows ou la plateforme cloud Microsoft Azure). Pour réussir à adresser ce marché considérable sur le plan commercial, il est indispensable d’être implanté localement, tant sur le plan industriel que sur le plan de la recherche et développement. Pour comprendre la culture et gérer la question de la langue, il est incontournable d’être présent, avec des équipes chinoises. Cela permet notamment de construire des relations partenariales ou des accords avec des entreprises chinoises, ce qui demande d’investir du temps.

Cela permet surtout de profiter pleinement de ce qui fait la force et la singularité de ce marché unique : pouvoir se confronter à des centaines de millions de clients et savoir très rapidement ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas, plaît ou ne plaît pas, et ainsi ajuster ses produits ou services de manière réactive et itérative en tenant compte des retours des clients. Culturellement les entrepreneurs chinois ont tendance à mettre très vite sur le marché une première version d’un produit, puis à l’améliorer de manière incrémentale en se fondant sur le retour des utilisateurs dans une approche pragmatique et rentable. Ce fonctionnement est d’autant plus aisé en Chine que la science et la technologie ont une connotation positive et de ce fait, les clients ont un goût prononcé pour la nouveauté et une indulgence certaine pour l’imperfection des produits ou services fraîchement lancés sur le marché. C’est ainsi que, dans un pays qui concentre plus de 40% de la capacité globale du marché mondial de la chimie, BASF tire le meilleur parti de l’open innovation et des coopérations avec les universités chinoises pour développer des produits répondant aux usages du marché, comme par exemple Formaldpure™ qui permet de dépolluer l’air à l’intérieur des habitations, en lien direct avec les problématiques de pollution très prégnantes dans le pays. C’est aussi le cas de Saint-Gobain dont le centre de recherche de Shanghai avait pour vocation initiale de soutenir le développement et la croissance du business de l’ensemble de la zone Asie Pacifique. Par la suite, de nombreuses innovations locales, répondant aux enjeux du marché chinois, ont conduit à des innovations globales, notamment dans le secteur des abrasifs.

L’implantation locale permet aussi aux entreprises occidentales de s’impliquer directement dans la production des normes sectorielles. C’est ce qu’explique par exemple Michelin, dont les activités d’innovation à Shanghai se concentrent sur la transformation de la mobilité et l’anticipation des besoins liés à la protection de l’environnement et la sécurité.

Même les géants du conseil adaptent leurs activités pour être à même de bien appréhender les tendances et conseiller les grandes entreprises. Ainsi, PwC, dont le centre d’innovation est installé à Shanghai, alimente et fait vivre une base de données qui répertorie plus de 340 000 start-ups. Ces données sont indispensables à PwC pour continuer à apporter de la valeur dans le conseil aux grandes entreprises.

C’est aussi pour rester à l’avant-garde du retail de demain que des entreprises occidentales comme Carrefourfont du marché chinois un laboratoire grandeur nature de l’avenir de la distribution à l’ère où les consommateurs utilisent leur smartphone à chaque instant. C’est ainsi que dans le magasin du futur Carrefour Le Marché à Shanghai, Carrefour expérimente de nouveaux usages afin de tirer le meilleur parti du digital et de l’expérience physique : paiement par reconnaissance faciale, livraison des commandes en ligne ou des achats en magasin en moins d’une heure dans un rayon de trois kilomètres, offres commerciales personnalisées ciblées grâce au big data…

 

Mais une faiblesse de l’approche managériale

Ce contexte global influence les stratégies d’innovation des entreprises multinationales, qui comptent aujourd’hui près de 1200 centres de R&D en Chine.

En matière de management et de gestion des ressources humaines, il est un objectif largement partagé par les entreprises occidentales et chinoises : attirer et retenir les salariés qualifiés dans un marché du travail tendu. Le fort besoin en talents de l’économie chinoise entraîne une forte mobilité notamment dans les deux premières années après l’embauche. La situation est encore plus tendue en R&D en lien avec les enjeux de compétences clés et de contrôle de la propriété intellectuelle. Face à ce défi qui se renforce, les entreprises chinoises deviennent de plus en plus attractives pour les jeunes talents locaux en proposant salaires et progression de carrière souvent plus attractifs aux employés chinois. Les entreprises multinationales, elles, misent sur l’appartenance à un groupe mondial mais aussi sur des parcours de mobilité internationaux.

Le recrutement doit prendre en compte le fait que le système éducatif chinois ne délivre pas toujours des compétences parfaitement adaptées au marché du travail. Les salariés chinois sont tous demandeurs de formation, considérée par eux comme un facteur de développement de carrière rapide, surtout lorsqu’elle est apportée par une grande entreprise étrangère.

Source image : marketing-chine.com

Enfin, à noter que la figure du manager occupe une place tout à fait spécifique en Chine. Il faut beaucoup de temps pour développer des relations inter personnelles avec son manager et l’identité du salarié se définit souvent par rapport à celui-ci plus qu’au regard de l’entreprise.

De toute évidence, au-delà de leur savoir-faire économique, la capacité des entreprises européennes à tirer en Chine avantage de leur savoir-faire en management est un atout compétitif à développer pour les années à venir.

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