L’entreprise est un groupe familial, né il y a plus de 150 ans et dont le capital est dans la même famille depuis cinq générations. Elle compte 7 000 employés répartis sur une vingtaine de sites partout dans le monde. Elle a connu une progression de son chiffre d’affaires essentiellement par croissance organique, sans exclure un développement à travers des alliances et des acquisitions. Les clients appartiennent essentiellement au secteur de la construction automobile. Depuis quelques années elle a mis en place un plan de transformation profonde de sa culture.
Le but est de faire que l’innovation ne soit plus cantonnée dans la R&D, mais élargie à l’ensemble de l’organisation. A-Part, centre d’expertise technique consacré entière- ment à l’innovation, porte cette transformation à grande échelle. Elle est implantée sur un site de 2 800 m², comptant 35 personnes (jeunes ingénieurs ou universitaires, pour la plupart) issues de cinq nationalités, qui sont dédiées à la recherche et au développe- ment, accompagnées par 5 team leaders. L’idée de l’unité a émergée en 2007, impulsée par le PDG, afin d’avoir une entité qui ne soit pas liée aux filiales et ne se consacre pas au business du quotidien. A-Part qui privilégie l’expérimentation sur la planification, peut être qualifiée d’« unité expérimentale » rayonnant àl’échelle mondiale.
Conduite du changement
A-Part a renoncé à élaborer des roadmaps technologiques à partir des besoins explicitement exprimés par les clients : « L’innovation n’est pas définie par rapport à des spécifications des besoins des clients : « Les clients ne sont pas forcément notre problème. On sait qu’ils sont là, on sait que quelqu’un (la direction du marketing de l’entreprise) les surveille. On essaie d’être en amont. » (Cadre équipe Advanced business development). Elle travaille désormais à partir des tendances, des opportunités, en analysant leur potentiel et la prise de risque associée. Elle s’appuie sur un processus de hiérarchisation et de suivi des projets, le « pipeline project management » (pistes à étudier, valeur commerciale, faisabilité), comportant une méthode de sélection des pro- jets de rupture fondée sur les perceptions du potentiel de création de valeur. Ce type de fonctionnement qui déroge aux démarches de planification rationnelle en usage dans l’industrie bénéficie d’un appui politique de la direction générale et d’un financement corporate.
Les difficultés de pilotage du changement ressenties par les équipes résultent principalement de la multiplicité des évolutions qui surgissent au fil du temps et qui sont sources de frustration et d’épuisement pour les individus : « Quand il y a trop de changements on n’a pas le temps de s’adapter, de voir vraiment, d’aller au fond d’un procédé pour voir si c’était bien ou non. Parfois on le change un peu trop souvent » (ingénieur essai). Un autre type des problèmes vient de la gêne éprouvée à « tuer » les projets dont la viabilité est trop incertaine, en raison du fort engagement personnel qu’ils ont réclamé. Les membres de la structure relèvent aussi une forte tension entre le court terme et le long terme.
Valorisation de ressources humaines
La valorisation des ressources humaine est réalisée par l’organisation du travail, aussi bien que par la reconnaissance individuelle. A-Part bénéficie d’une structure plate qui accorde peu de place au statut hiérarchique. Elle n’attribue pas de manière formelle les projets, laissant la liberté à chacun d’expérimenter des idées et, le cas échéant, d’échouer. Elle favorisel’autonomie dans les affectations aux différentes activités ainsi que dans les horaires de travail. Ce mode de fonctionnement, n’est pas réservé à A-Part, il s’étend à l’ensemble de l’entreprise, et s’appuie fortement sur des communautés de pratiques,comme le relève ce jeune chercheur : « XXX a ce mode de gouvernance avec un management assez soft. On cherche àpromouvoir l’autonomie des gens et à s’asseoir sur une expertise technique, dans une logique de promouvoir cet aspect communautaire. » Un plan de transformation pour favoriser la culture de l’innovation et l’intrapreneuriat est en cours depuis quelques années. Par ailleurs, A-Part implémente un système de bonus et de primes de brevet.
C’est une structure de travail très stimulante, mais les cadres de travail sont flous et difficiles à assimiler. De ce fait lasocialisation organisationnelle et un processus long : « J’ai trouvé l’apprentissage très long par rapport à XXX (nom d’un constructeur automobile). Avant XXX je travaillais dans une entreprise américaine dans l’aluminium beaucoup plus grosse (…). Je travaillais pour la division bâtiment et j’étais responsable du centre d’innovation européen, une petite structure de 10 personnes. L’innovation était moins poussée (…). Par contre l’intégration des gens et la reconnaissance des skills étaient beaucoup plus rapides que chez A-Part. » (un expert) L’entreprise laisse à chacun le soin de s’auto-motiver ; ce qui est loin d’aller de soi. Il en résulte une prise de risque dans la décision individuelle, tant au niveau des membres qu’à celui de l’entité. Ce type de structure ne permet pas de fixer des indicateurs de performance individuelle et les bonus peuvent être perçus comme arbitraires.
Coopération interne
La coopération est fluide à l’intérieur de l’entité. Une campagne de communication sur le travail d’A-part s’opère en lien avec les autres organisations pour légitimer l’activité de cette unité expérimentale. Les échanges autours des projets se font de manière spontanée et utilisant plusieurs méthodes agiles comme le « mum test » ou « design to value », une démarche agile de conception des produits et services prioritairement tournée vers l’innovation et la valeur client. L’entreprise favorise une rotationinterne de rôles forte qui permet d’ouvrir A-Part sur les autres composantes de l’entreprise et contribue à la diffusion de la culture d’innovation. Parmi les appuis internes, la DRH du groupe, qui a été la première « scrum master » (coach, médiateur, modérateur, faciliteur) de l’entre- prise, apporte son concours, en particulier dans l’animation des communautés et dans les formations à lacréativité).
Il reste cependant difficile de comprendre le travail de cette unité expérimentale pour le reste de l’organisation. On relève aussi une perte d’agilité, lors du transfert des projets au siège. Enfin, au regret d’A-Part, le client reste la chasse gardée des commerciaux.
Coopération externe
Malgré la réticence des commerciaux, A-Part organise des rencontres régulières avec les clients finaux avant la production en série et travaille étroitement avec les membres du réseau. Des accords de non-divulgation avec les partenaires sont mis en place pour favoriser la coopération, tout en préservant la propriété intellectuelle et faire taire d’éventuelles critiques internes. A ce jour, A-part ne voit pas l’intérêt de s’ouvrir d’avantage aux start-ups ou à des formes similaires d’innovation ouverte, faisant sienne la formule : « Pourquoi acheter la vache si l’on peut boire son lait ? »