Du management participatif au management  « mobilisateur »

 

Martine Le Boulaire – Anne Bastien

Droits réservés : toute utilisation de cet article impose de n’en faire aucune modification, d’en citer les auteurs et d’inclure un lien vers l’URL de l’article

« Instaurer un dialogue permanent avec les salariés », « rendre les salariés acteurs du changement », «  développer plus de participation et d’autonomie» : autant d’expressions contemporaines qui évoquent les besoins d’évolution des modes de management entendues hier. Y  aurait-il un renouveau du courant participatif dans les entreprises contemporaines ?

A l’origine, la démocratie industrielle…

C’est dans les années 1970 qu’émergent en France l’aspiration à de nouvelles formes de rapport au travail, avec la volonté de découpler lien de subordination et sentiment d’aliénation, et le refus du « travail en miettes » héritage du taylorisme. Porté par les mouvements ouvriers européens, il conduit au concept de « démocratie industrielle ». C’est l’époque du rapport Sudreau (1974) et de ses conséquences à la fois dans les pratiques d’entreprise, – bilan social annuel obligatoire, représentation des salariés au conseil de surveillance des sociétés à directoire, et hors de l’entreprise avec notamment la création de l‘ANACT.

… ancêtre du management participatif

Les années 1980 et 1990 voient le développement d’un important dispositif participatif, témoin d’« une nouvelle culture de l’entreprise française »[1]. Dans un contexte de complexité et de contraintes croissantes, le management et la gestion participative « deviennent » un levier majeur d’efficacité et de la conduite des changements[2]. Cercles de qualité, groupes de progrès ou d’expression vont mobiliser des milliers de salariés, marquant une rupture avec les pratiques de l’entreprise traditionnelle où la dimension collective du travail est ignorée, où les salariés sont dépossédés au profit des organisateurs du travail, seuls à même selon le modèle taylorien-fordien, de concevoir et de gérer la coopération dans le travail.

Pour autant, quels impacts le management participatif a-t-il eu ou a-t-il encore aujourd’hui sur trois leviers considérés comme symbolique de sa dynamique : l’organisation du travail, la gestion par les compétences et les dispositifs d’observation sociale ?

  • Participatif et organisation du travail 

C’est avec les groupes semi-autonomes qu’apparait un nouveau modèle de production, motivé à la fois par une critique sociale, – celle de la rationalisation mécanique du travail et son intensification, et par une préoccupation économique et gestionnaire. Tant dans le secteur industriel que dans celui des services, il suppose l’idée du décloisonnement et une forme de dé-hiérarchisation. La dynamique socio-organisationnelle associée est celle de la compétence collective, de l’autonomie et de la responsabilisation, l’équipe devenant un espace de production collective et de coopération où le management participatif est la mission clé du manager de proximité.

1er paradoxe : la contrainte croissante du reporting et la normalisation par les procédures là où le système prévoyait l’auto-production par l’équipe de ses propres indicateurs et instruments de pilotage, une autonomie davantage réservée à la hiérarchie que basée sur la responsabilité des opérateurs, un relatif essoufflement de l’engagement de salariés qui ne perçoivent pas toujours les contreparties offertes à leur participation…

  • Participatif et gestion des compétences 

« La création de valeur puise davantage dans la contribution individuelle des individus que dans la logique collective des qualifications » : ce principe induit  une  mobilisation subjective importante des salariés dans le collectif et definit leurs compétences comme des savoir-faire opérationnels validés en action plutôt que comme des savoirs disciplinaires. Le management est alors invité à revoir régulièrement les organisations du travail, à développer les compétences « orientées-clients », les coopérations et la transversalité, à déployer des démarches de progrès ou d’innovation continue. Le système fait émerger des catégories de compétences nouvelles : la capacité à travailler en équipe, à transmettre de l’information, à organiser son travail, l’intelligence de situation…

2ème paradoxe[3] : l’injonction imposée aux salariés de participer, de coopérer et de trouver en eux mêmes des ressources pour résoudre les problèmes posés par le travail… tout en respectant strictement les prescriptions et normes de plus en plus nombreuses et contraignantes.

  • Participatif et observation sociale 

L’essor des dispositifs d’enquête auprès des salariés dépasse la préoccupation initiale de maîtrise du risque social. Il s’agit aussi d’évaluer leur degré d’implication dans les projets de l’entreprise et dans le déploiement des démarches participatives, la compréhension qu’ils ont des changements, leur perception de la qualité du management. Les résultats leur sont communiqués et viennent généralement alimenter des plans de progrès par services, voire le processus d’évaluation des managers eux-mêmes. La communication induite par ces enquêtes pose implicitement l’idée que le management est nécessairement participatif, que la seule question qui importe désormais concerne la qualité et les modalités de la participation mise en œuvre par chaque manager dans son entité.

3ème paradoxe : le désir de managers charismatiques tout en pronant participation et prises d’initiative de la base, et donc une forme de remise en cause de l’autorité ; le surinvestissement dans le participatif, au risque d’épuiser l’engagement de salariés et de développer chez eux un sentiment de manipulation face à leur pouvoir d’action ou de décision réels

 

Et aujourd’hui  le management « mobilisateur »?

Le management participatif a largement diffusé dans les pratiques d’entreprises. Mais le renouveau de son impulsion aujourd’hui n’a plus pour seule source l’entreprise : les aspirations et usages des citoyens et des salariés à l’ère numérique, l’usage des réseaux sociaux et des modes de fonctionnement collectifs qu’ils requierent, l’évolution radicale de l’environnement économique et de ses exigences sont pour beaucoup dans l’internalisation de la participation dans les modes d’action. En cela, le « management mobilisateur » d’ aujourd’hui serait la continuation du management participatif d’hier sous d’autres formes non dépourvues à leur tour de paradoxes.

L’engouement pour « l’entreprise libérée » prétend rendre l’entreprise plus performante par la remise en cause du système hiérarchique et du lien de subordination du salarié. Michelin revisite de façon participative le concept de responsabilisation dans ses ilots de production (Michelin Manufacturing Way)[4], d’autres entreprises choisissent l’angle d’approche du bien-être au travail pour concevoir avec les salariés des organisations qui concilient les deux enjeux économique et social… Les initiatives sont nombreuses, diverses. Le participatif semble bien rester dans l’ADN de ces dispositifs innovants mais « la participation fait partie intégrante du modèle dans lequel les salariés sont enjoints de participer »[5]. De plus, à contre pied du courant de l’entreprise libérée, le manager y garde une place déterminante et bien plus exigeante que précédemment : il ne lui est plus seulement demandé de « faire participer », ou encore de mettre en œuvre avec succès les objectifs de business de l’entreprise, mais d’être aussi contributeur du développement des compétences de ses collaborateurs, de la détection des talents et plus globalement du bien être des hommes et des femmes de l’organisation.

Le management mobilisateur  n’est pas seulement une continuité du management participatif, mais « une recherche d’adaptation au nouveau contexte socio-économique »[6] . Il a pour enjeu de déjouer les pièges et les critiques formulées à l’égard du management participatif pour atteindre les ambitions de performance sociale et économique de l’entreprise contemporaine. Ainsi pour reprendre une phrase d’Alain Gosselin[7], « Les démarches les plus concluantes/utiles sont celles qui amènent les entreprises à s’interroger sur les conditions de succès de la participation… ». Une piste à méditer pour nos travaux sur l’innovation managériale…

[1] Dominique Martin, Le changement dans l’entreprise, L’Harmattan, 1988

[2] Rapport A. Riboud, Modernisation mode d’emploi, UGE 10/18, Paris 1987

[3] Danièle Linhart, Organisation du travail et participation des salariés in Encyclopédie des Ressources humaines – Vuibert, 2003

[4] Bertrand Ballarin, Février 2017, « A la recherche d’un nouveau modèle d’organisation et de management chez Michelin », Ecole de Paris du Management

[5] Le modèle de l’entreprise libérée, remake du management participatif ou innovation radicale ? Patrick Gilbert et alii, octobre 2016  (téléchargeable depuis « votre espace » sur le site de Cime)

[6] Ibidem

[7] Citation de Alain Gosselin, Directeur de l’École des dirigeants HEC Montréal, Janvier 2014, UH Entreprise&Personnel : « participer, pour quoi faire ? Option managériale ou impératif socio-économique»

Retour à la Bibliothèque